Source: Le Monde
« Nous continuons à faire des efforts pour démontrer le potentiel de la Wii U », reconnaissait en octobre dernier Shigeru Miyamoto, le père de Mario, aujourd’huipape créatif et numéro deux de Nintendo. La dernière nouveauté en date de la firme japonaise, en magasin vendredi 28 novembre, confirme cette volonté affichée. Elle prend la forme d’étonnantes figurines à l’effigie du bedonnant héros de Super Mario Bros., de Pikachu le célèbre Pokémon aux allures de souris jaune survoltée, ou encore de « l’entraîneuse », la coach sportive de la gamme de jeuxde fitness Wii Fit.
En tout, douze jouets à l’ancienne, qui ont une particularité : ils disposent d’une puce radio sans fil (dite « NFC ») qui leur permet d’embarquer des données informatiques et de les échanger avec les consoles Wii U et Nintendo 3DS. Le jeu de combat Super Smash Bros. sur Wii U, qui sort le même jour, sera le premier programme de Nintendo à massivement utiliser cette interaction entre jouets etjeux vidéo.
Si l’innovation constitue la marque de fabrique de la firme de Kyoto, une fois n’est pas coutume, l’idée vient d’un autre éditeur de jeux. En l’occurrence de la compagnie américaine Activision dont la gamme des Skylanders a été un gigantesque succès commercial en 2012 et 2013.
La force du concept a fait des émules. En 2013, Disney s’est converti à la modedu « jouet vidéo » avec Disney Infinity, un jeu dans lequel l’enfant peut utiliser des figurines Pirates des Caraïbes, Monstres & Cie ou encore, depuis cet été, Marvel. Mais avec son impressionnant catalogue d’univers vidéo ludiques maison (Mario,Zelda, Pokémon, Animal Crossing, etc.), Nintendo semblait plus prédisposée que quiconque à investir ce nouveau marché.
Pour la firme de Kyoto, le succès des Amiibo serait pour le moins bienvenu, après trois années successives de résultats financiers décevants, alors qu’ils ne l’avaient jamais été depuis trente ans. Seulement, la compagnie traverse depuis 2011 et la fin de cycle de la Nintendo DS et de la Wii une difficile période de transition. Côté portable, la concurrence des smartphones et des tablettes d’une part, la diminution du temps de jeu moyen au profit des réseaux sociaux de l’autre, ont considérablement empiété sur l’espace traditionnel de Nintendo. Côté salon, les multiples erreurs de communication autour de la Wii U, souvent prise à tort pour un périphérique de la Wii, ont précipité la chute des ventes de la marque. Sur son dernier exercice fiscal, Nintendo accusait un chiffre d’affaires en recul de 10 %, à 4 milliards d’euros, et des pertes de 162 millions.
Principale responsable : la Wii U. Depuis sa sortie fin 2012, la compagnie japonaise n’a écoulé que 7 millions d’exemplaires de sa console de salon – soit 5 fois moins que la Wii à temps de commercialisation identique. Il s’agit, pour l’instant, du plus cinglant échec commercial de la marque depuis la GameCube, qui avait fini sa carrière commerciale à un peu plus de 20 millions d’unités. La dynamique de vente exceptionnelle de la PlayStation 4 donne peu d’espoir de rattrapage à la Wii U, alors pour lutter, Nintendo préfère désormais faire des pas de côté.
Le lancement de figurines interactives marque en effet le début en douceur de l’élargissement et de la diversification des activités de la société. Le PDG Satoru Iwata le laissait d’ailleurs entendre dès avril dernier dans une interview avec le magazine financier japonaisDiamond. « La majorité des gens dans le monde pense que Nintendo est uniquement une société qui développe des jeux vidéo, et je commence à croire que c’est également le cas de nos employés. Même si nous ne remettons pas en cause le fait que le jeu vidéo demeure notre activité première, je profite de l’occasion pour affirmer que Nintendo est une compagnie qui peut faire ce qu’elle veut. »
Le tournant de 1977
Il faut dire que la firme date de 1889, et qu’il y a encore quarante ans, la société sise à Kyoto ne concevait pas de jeux vidéo. Son cœur d’activité était le jouet pour enfant, qu’il soit éducatif, ludique ou expérimental. Réinterprétation du Rubik’s Cube, robot aspirateur pour enfant, bras extensible façon Inspecteur Gadget ou encore pseudo-boule de cristal pour amoureux incertains, la compagnie ne s’interdisait effectivement rien.
Mais tout ça, c’était avant 1977, le lancement de la toute première console de Nintendo (la Color TV Game 6, inédite en dehors du Japon), et surtout avant le succès fondateur des petites consoles portable à cristaux liquides Game & Watch et du jeu Donkey Kong en 1980. Depuis, la firme de Kyoto s’est muée en incroyable locomotive de la jeune industrie du jeu vidéo, enchaînant succès après succès : la NES et Super Mario Bros. dans les années 1980, la Super Nintendo et Pokémon dans les années 1990, ou encore la DS, Nintendogs et la Wii dans les années 2000.Son retour au jouet, plus qu’une nouvelle aventure, marque ainsi une transition en douceur vers le Nintendo touche-à-tout de la période 1950-1980. Il prendra évidemment des formes différentes. Récemment, Shigeru Miyamoto a ainsi présenté le premier court-métrage de la compagnie, un film d’animation consacré à l’univers de ses jeux Pikmin, dans lesquels le héros dirige de petits êtres multicolores aux allures de pousses de légumes. Cette première n’est pas passée inaperçue, d’autant que le créateur a passé sa carrière à tracer une ligne de démarcation aussi large que claire entre jeu vidéo et cinéma.
« Hiroshi Yamauchi [l’ancien président historique de la compagnie, retraité en 2002 et décédé en 2013] répétait toujours : Nintendo est une société de divertissement et devra toujours le rester, insiste Satoru Iwata. Mais cela ne voulait pas dire que le divertissement se limitait aux jeux vidéo. »
L’expérimentation était à ce point dans son ADN qu’après s’être historiquement développée dans les cartes à jouer et les jeux de société, elle était allée jusqu’à commercialiser des landaus et des imprimantes, et a même investi dans une compagnie de taxi… et des hôtels de passe.
Près d’un demi-siècle plus tard, c’est vers d’autres domaines plus modernes que Nintendo entend étendre sa diversification. Un en particulier : la santé connectée, ou « QoL », pour « Quality of Life » (« qualité de vie »), pour reprendre le terme de M. Iwata. Il y a moins d’un mois, Nintendo dévoilait ainsi un outil de surveillance du sommeil, à mi-chemin entre les nouvelles fonctions de mesure biologique des objets connectés et l’expertise acquise par la société dans les jeux vidéo de santé, avec Wii Fit ou Programme d’entraînement cérébral. Le groupe veutproposer des produits « qui ne se portent pas sur soi, sont sans contact, sans action à effectuer, sans attente et sans effort d’installation ».
Là encore, pour Nintendo, il s’agit de réussir une transition en douceur et les amiibo en sont l’un des premiers aspects. Une diversification progressive de la compagnie qui ne fait donc que commencer.